Mais pas impossible !
Charlie a quatre ans et adore construire, inventer des mondes, raconter des histoires. Gaspard aura deux ans dans quelques mois et il adore lancer, détruire, imiter sa sœur. Alors parfois...
PAF !
Dernièrement Charlie supporte assez mal que Gaspard l'approche lorsqu'elle joue. Elle lui donne très souvent des intentions négatives lorsqu'il l'observe pour l'imiter ou cherche à prendre un jouet dans son périmètre "Il veut casser ma maison, il veut tout prendre, il ne veut pas prêter, il va m'embêter...". Ce qui provoque une grosse frustration du côté de Gaspard puisqu'il est régulièrement rejeté violemment par sa sœur avant même d'avoir bougé le petit doigt.
Pour éviter que son petit frère ne devienne un gêneur détestable, pour éviter que sa grande sœur ne le repousse trop souvent, pour éviter que Gaspard ne se fasse crier dessus de dépit après un geste malheureux, pour éviter que Charlie ne se fasse taper dessus en retour... et pour qu'ils cohabitent avec le plus de plaisir possible malgré leurs différences d'âge et d'intérêt, j'essaie depuis quelques temps de les accompagner dans les jeux les plus critiques. Tu sais, ceux qui provoquent les plus grosses situations de conflit : faire un puzzle, construire une maison en duplo, fabriquer une cabane de draps, jouer à la dînette... La plupart du temps tout va bien jusqu'à ce que Gaspard décide de déconstruire, de prendre pour lui les objets utilisés par Charlie, de ranger contre l'avis de sa sœur et j'en passe ! Ces situations de plus en plus fréquentes provoquant des réactions de plus en plus violentes de la part d'une Charlie exaspérée et d'un Gaspard frustré, il était temps d'agir.
Je n'ai évidemment pas vocation à m'incruster dans tous leurs jeux, loin de là, mais dans ces moments précis où j'interviens, on organise ensemble l'espace et le temps de chacun, on redistribue les rôles et on créé des rituels pour faciliter leur entente. J'ai remarqué qu'en les accompagnant dans ces moments de jeux, je les aide à écouter les besoins de l'autre, à mieux se comprendre, à développer leur empathie et leur solidarité. Par ailleurs je prend toujours le temps de poser des mots sur les émotions ressenties par l'un et l'autre lorsqu'il y a une tension pour que l'un comme l'autre se sente entendu et compris. Chez nous lorsqu'une dispute éclate il n'y a pas de méchant et de victime, il y a juste deux enfants en difficulté que l'on cherche à accompagner dans la résolution de conflit. C'est un travail de longue haleine mais qui semble porter ses fruits ! Depuis que je prend ce temps auprès d'eux j'observe des petits changements encourageants dans leur attitude l'un envers l'autre. Les moments où ils jouent ensemble ou côte à côte sans conflits sont de plus en plus fréquents et la résolution de ces conflits est de plus en plus rapide. Charlie reprend plaisir à intégrer Gaspard dans ses jeux et Gaspard est plus coopératif avec elle depuis qu'elle lui octroie plus d'amplitude pour agir à sa guise dans leurs jeux.
Le jeu du puzzle
J'aurais pu illustrer cet article avec des tas d'autres jeux mais j'ai ces quelques images sous le coude alors c'est parti pour notre rituel du puzzle construit au fil du temps avec Charlie et Gaspard !
[ conflit n°1 ]
C'est toujours sensiblement pareil, Charlie va chercher le puzzle et me propose de jouer avec elle. Nous nous installons autours de la table basse pour trier les pièces du puzzle : d'un côté les bords, de l'autre les pièces du milieu. Gaspard s'approche intrigué et veut s'emparer de certaines pièces pour participer. Le premier réflexe de Charlie est de s'insurger, de refuser, de m'interpeller pour empêcher son frère de venir la déranger dans son jeu. Je lui explique que Gaspard est intrigué par ce jeu et souhaite participer avec nous. J'explique à Gaspard que Charlie a peur qu'il prenne toutes les pièces et que ça l'empêche de jouer. On en conclue qu'il peut jouer sur un coin de la table avec le tas des pièces du milieu pendant qu'on s'occupe d'assembler le cadre du puzzle. Aujourd'hui ce conflit a presque disparu, Gaspard attend que Charlie lui donne les pièces au fur et à mesure qu'elle trie et tout le monde s'y retrouve. Ouf !
[ conflit n°2 ]
Charlie assemble les bords du puzzle, pendant ce temps Gaspard tente d’emboîter les pièces qu'il a sous la main pour faire comme sa sœur. Il s'amuse aussi à les ranger dans la boite, fermer la boite, ouvrir la boite, transvaser... Lorsqu'il tente de prendre une pièce mise de côté pour Charlie je l'en empêche en lui expliquant qu'elle en a besoin, qu'il a déjà les siennes et je l'invite à jouer avec ses propres pièces. Vient ensuite le moment où Charlie a besoin des pièces du milieu pour compléter son puzzle. Je l'invite à formuler son besoin à Gaspard qui lui distribue les pièces de bonne grâce depuis qu'elle ne tente plus de les lui arracher de force. En général il essaye aussi de placer quelques pièces du puzzle tout seul. Charlie a le réflexe de le chasser de son territoire, je lui explique qu'il a envie d'apprendre à faire comme elle et qu'elle peut lui montrer comment jouer plutôt que le repousser. Alors petit à petit elle prend l'habitude de lui montrer comment placer les pièces sur le puzzle en accompagnant ses mouvements avec douceur. Gaspard la laisse faire depuis qu'il ne se sent plus agressé ni repoussé. Ouf !
[ conflit n°3 ]
Le puzzle est terminé ! Charlie me demande de leur raconter une histoire tirée de cette illustration : j'invente un récit à base de princesse guerrière et de Chevalier en détresse, les deux enfants sont accrochés à mes lèvres. Et puis Charlie prend le relai pour nous raconter à son tour une histoire. Tout irait bien si la frénésie de l'ordre et du rangement ne prenait pas Gaspard ! Bah oui, le puzzle est terminé, alors vite, vite, on range ! J'explique à Charlie que Gaspard ne détruit pas le puzzle pour l'embêter mais simplement car il prend plaisir à le ranger. J'explique à Gaspard qu'il va pouvoir ranger le puzzle dès qu'on aura terminé de raconter nos histoires. Ce n'est pas facile d'attendre, ce n'est pas facile d'accepter que l'autre casse ce que l'on a construit avec patience... mais lorsque les mots sont posés c'est un peu plus facile. Alors petit à petit le rituel prend forme et les conflits sont désamorcés. Une fois nos racontines terminées, Charlie laisse la place à Gaspard qui peut enfin ranger le puzzle sereinement, sans qu'aucun des deux ne se sente agressé par l'autre. Ouf !